Internet et la gouvernance

La discussion ne se limite plus aux plates-formes et aux entreprises privées qui occupent une place importante sur Internet. Le modèle multipartite auquel on a abouti pour cette gouvernance se révèle insuffisant face aux pressions des États-nations et aux difficultés du secteur privé à promouvoir une autorégulation efficace (Hofmann, 2016). En ce sens, il devient une question de savoir si les origines transnationales de l’Internet sont remises en question face aux actions des États-nations. Cette question existe déjà depuis des décennies, dans des contextes différents et impliquant différents acteurs. Lemos (2020) y fait également référence comme des moments Internet de dystopie et d’utopie; dans le moment présent de 2020, c’est une forte dystopie, alors que les mécanismes de coopération internationale tentent de s’accrocher aux idées «utopiques» du multipartisme, mais avec un haut niveau de réalisme, ce qui signifie donner la priorité au modèle étatique westphalien.

Il est important de comprendre comment la gouvernance de l’Internet organisé depuis les années 2010. Pour l’Occident, l’événement qui marque ce nouveau scénario, ce sont les révélations d’Edward Snowden en 2013 et la pression qui en résulte de la communauté internationale pour la décentralisation d’Internet. Quant à l’Est, 2012 a vu la montée en puissance de Xi Jinping au pouvoir en Chine et un nouveau modèle Internet mis en place marqué par une censure renforcée et un maintien d’un contrôle étatique fort. Ce programme sera bientôt étendu aux pays ayant des intérêts communs, comme dans le cadre de l’Initiative de la ceinture et de la route (BRI) en Asie du Sud-Est et en Afrique.

Comme indiqué précédemment, il existe trois modèles à considérer pour la gouvernance de l’Internet: le chinois, l’américain et l’européen. Par conséquent, nous pouvons utiliser le terme «modèle» pour désigner les intérêts d’un État-nation dans la manière dont Internet est exploité sur son territoire (et éventuellement au-delà). Nous comprenons également les «ressources d’énergie cybernétique» comme un ensemble de ressources appartenant communément aux grandes transnationales technologiques, capables de modifier les comportements et d’influencer sociétés, telles que les données personnelles, l’infrastructure informationnelle, la capacité de calcul, les bases d’utilisateurs et l’utilisation d’algorithmes (Mariano et al .; 2018).

Aujourd’hui est différent de tous les points précédents de l’histoire de la gouvernance de l’Internet et nous pouvons justifier cette déclaration par deux exemples: pour la première fois, à la fin des années 2010, l’industrie a rejoint l’État pour demander une réglementation, comme on l’a vu après le cas de Cambridge Analytica dans 2018 (Pigatto, 2020). En outre, le règlement européen sur la protection des données personnelles a mis des tensions même à l’ICANN, qui tente toujours de mettre en œuvre une politique d’accès à la base de données Whois (une base de données mondiale qui remonte au début d’Internet, qui détenait autrefois tous les registrants données pour ceux qui possédaient des noms de domaine d’une manière publique), et tente d’entrer dans l’espace de l’Union internationale des télécommunications (UIT) – traditionnellement multilatérale.

Alors que les entreprises américaines ont investi dans Internet via une couche de contenu avec des services tels que Facebook et Google, Chine est devenu un acteur majeur dans la couche infrastructure, même s’il se démarque également avec certaines applications qui menacent l’hégémonie américaine dans ce domaine, notamment dans le scénario protectionniste de Donald Trump. Aujourd’hui, Facebook compte 2,7 milliards d’utilisateurs actifs (Clement, 2020), tandis que la populaire application chinoise WeChat en compte 1,2 milliard (Thomala, 2020). L’ICANN – actuellement mondiale et multipartite mais aussi de création américaine dans un contexte libéral – commence cette décennie en essayant de se retrouver dans la couche intermédiaire des protocoles tout en respectant les réglementations étatiques et en maintenant «un Internet unique», comme le dit sa devise. L’institution semble tenter activement de ne pas s’impliquer dans la géopolitique.

Avec cela, nous avons un paradoxe complexe de gouvernance de l’Internet, où la mondialisation entretenue par Internet entre en conflit avec les nationalismes, les politiques et les cultures distinctes exige au moins des résolutions coopératives entre tous les acteurs. Face au défi de maintenir une économie mondialisée et une les flux de services, la maintenance et les usages d’Internet se font entre favoriser les marchés nationaux ou les gouvernements, ce qui nous amène à nous demander comment trouver un tel équilibre.